On fera mieux la prochaine fois. Quand on aura les bons produits.
En cuisine, rien ne supporte la médiocrité, particulièrement quand la recette est si simple et ne comporte que trois ingrédients : mangue, billes de tapioca, lait de coco (allez, quatre avec le sucre, mais c’est tout). Il m’arrive actuellement un petit souci de santé peu grave mais douloureux et défigurant puisqu’il me donne l’air de sortir d’un règlement de compte entre bagnards. Quand il nous arrive ce genre de chose, il faut se consoler. Or j’avais deux mangues du Pérou, un peu éberluées d’avoir réussi à rester sur mon bord de fenêtre sans se couvrir de taches noires, des billes de tapioca petit modèle et du lait de coco. Il ne me restait donc plus qu’à confectionner ce dessert que mon amie Jing Lu faisait à Guangzhou avec les mangues délicieuses de Chine du Sud et un sublime lait de coco en brique importé de Malaisie (je n’ai jamais retrouvé cette qualité ailleurs). Quand on l’avait fini, Sébastien (son mari) et moi, on se battait pour nettoyer la casserole avec notre cuillère et on demandait à Jing d’en refaire immédiatement.
J’en ferais plus souvent si les produits que je trouve en France étaient à la hauteur de ce que je trouvais en Chine, ailleurs en Asie de l’Est et du Sud-Est. Pour trouver des mangues parfumées et qui mûrissent sans se cabosser ni pourrir, il faut galérer. Je ne dis pas que ce soit impossible. À partir du mois de juin, les cash and carry entre la gare du Nord et La Chapelle reçoivent les petites mangues jaunes du Pakistan en boîtes de carton ; elles sont fondantes, musquées et aromatiques. On peut aussi les trouver dans le triangle asiatique du XIIIe arrondissement. Parfois, toujours autour de La Chapelle, dès le mois de juillet arrivent des variétés de très haute qualité telles que les kesar et les alphonso — et là, c’est l’extase. Dans le XIIIe, les mangues jaunes à pointe recourbée importées de Thaïlande ou du Viêt-nam sont excellentes si l’on sait les choisir, et bien entendu je fais grand cas des mangues Kent du Mali, qui ont tendance à se raréfier au profit des mangues importées du Pérou qui sont… comment dire ?
Pérou, je t’aime, j’ai un grand respect pour toi. Mais franchement, avec ta biodiversité insensée, ta ribambelle de climats, ton Macchu Picchu et tes merveilleuses cuisines Nikkei et autres, tu n’es pas fichu de nous envoyer une seule mangue qui ait du goût et du parfum ? C’est ainsi : on les trouve pratiquement toute l’année, mais même mûres, elles sont insipides. Pendant ce temps les fruits tombent des manguiers maliens sans trouver acquéreur parce que tu as damé le pion à l’Afrique pour exporter un produit sans intérêt qui se substitue sur notre marché à un produit de qualité. À moins que ce ne soit encore un coup de l’UE, voilà qui ne m’étonnerait pas. Ou une quelconque représaille contre le Mali parce qu’il vient de virer l’occupation française à coups de pompes dans le train (bien fait !). Doux Jésus, où la guerre commerciale va-t-elle se nicher…
Résultat, je n’ai que deux mangues du Pérou et une boîte de lait de coco qui n’est pas de la meilleure marque, mais je me console en me disant que la saison des mangues d’Asie n’est plus très loin.
Donc, avant de pouvoir aller à la chasse à la mangue kesar et de sélectionner un lait de coco décent ainsi qu’un vrai sucre de palme (qui donnera la petite note caramélisée qui relève tout), voici la recette. Elle est ultrasimple, et même à partir d’ingrédients qui pourraient mieux faire, le résultat reste très réconfortant. Pour quatre personnes qui aiment ça :
• 120 g de perles de tapioca ou de sago, petit calibre (le tapioca possède un peu plus de mâche que le sago, mais le résultat est pratiquement le même)
• 2 mangues mûres de la meilleure qualité possible (il faut que ça sente très bon à travers la peau. Si ça ne sent rien, ce sera comestible, mais n’attendez rien de plus.)
• De 40 à 50 cl de bon lait de coco crémeux (en brique ou en boîte, j’aime bien les marques Les Deux Éléphants et Chao-Koh)
• Un peu de sucre (sucre de palme conseillé), une pincée de sel.
Portez une grande quantité d’eau à ébullition dans une casserole, versez-y 20 cl d’eau froide, puis les perles de tapioca. Attendez le retour de l’ébullition et comptez 5 minutes de cuisson sur feu moyen, à découvert. Remuez de temps en temps. Hors du feu, couvrez la casserole et laissez reposer 10 minutes. Versez dans une passoire fine pour égoutter et passez les billes de tapioca sous l’eau froide courante en les remuant avec les doigts pour les refroidir. Égouttez complètement, débarrassez les billes dans le grand bol ou saladier où vous allez faire le dessert.
Ajoutez le lait de coco en plusieurs fois en mélangeant soigneusement. Sucrez légèrement, mélangez et goûtez. Arrêtez de sucrer quand ça vous convient. N’allez pas au-delà. Ajoutez aussi une pincée de sel.
Épluchez les mangues, coupez-les en petits morceaux (ou en morceaux de taille inégale, c’est meilleur) et ajoutez-les.
Vous pouvez couvrir le bol et le mettre au réfrigérateur ou vous servir dès maintenant. Gardez au frais s’il en reste.
Addendum : bien sûr, ceci est la recette simplifiée, réduite au minimum de ses ingrédients. La version cantonaise (hongkongaise, en fait) d’origine contient du lait concentré sucré, ce qui dispense d’ajouter du sucre. Certaines versions exigent que l’on mixe une partie de la chair de mangue avec le lait concentré et le lait de coco afin d’obtenir une crème jaune, le reste de mangue en cubes venant garnir le tout lors du service. Le dessert au grand complet, dans le Guangdong, comporte aussi de la chair de pomelo rosé chinois. C’est bon, ça ajoute une texture de plus — le croquant du pomelo — et une saveur, l’acidité de l’agrume. Mais avec de la mangue seule, c’est déjà très bien. Et il en est du pomelo chinois comme il en est de la mangue, les meilleurs sont extrêmement difficiles à trouver. La suite au prochain arrivage de mangues.