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L’honneur retrouvé d’un chou de Pontoise

L’honneur retrouvé d’un chou de Pontoise Posted on 1 avril 2023Leave a comment

Marc, mon maraîcher du marché Monge, est tout désolé de ses choux. « Ils n’ont pas pommé, dit-il, il n’y a pas eu d’hiver. » Pourtant ils sont beaux, ces choux, quoique un peu petits : il y a des choux de Milan et des choux de Pontoise, aux feuilles lisses vert sombre marbrées de violet. Il a raison : quand on appuie sur le cœur, c’est mou. En effet, ça n’a pas pommé. Mais cela ne suffira pas à me faire renoncer au chou farci. « Ils n’ont pas pommé », répète Marc d’un air découragé qui paraît tout englober des expériences malheureuses de cette période : les choux qui ne pomment pas, l’hiver qui n’existe plus, cette foutue réforme des retraites, et Macron pour qui nous comptons pour des prunes. Il y a des gens qui réussissent et des gens qui ne sont rien, des gens qui font des choux farcis, par exemple, ou qui font pousser des choux qui ne pomment plus. Ça, c’est nous. « Je vais tout de même essayer », dis-je à mon maraîcher. Comme je suis bien décidée à faire un chou farci, j’accepte la perspective d’un échec culinaire. Je suis descendante de Vikings, je ne lâche pas l’affaire comme ça. Est-ce que les Vikings faisaient du chou farci ? Je n’en sais rien, mais je sais que ce principe de recette parcourt toute l’Europe. L’Auvergne, la Provence, le comté de Nice, la Grèce, la Hongrie, les pays slaves… À travers de nombreuses variantes, bien entendu. Chou de Milan ou chou de Pontoise ? Je n’ai jamais cuisiné du chou de Pontoise, c’est le moment d’essayer. Je repars donc, le pauvre petit chou de Pontoise sous le bras, et Marc me fait un prix parce que, décidément, ses choux le rendent tout triste.

Je ne vais pas laisser ce chou se flétrir dans ma cuisine, alors je rassemble mes ingrédients et tout l’optimisme que je peux trouver. Pommé ou pas, il me semble impossible que ces jolies feuilles rayonnantes se refusent à la recette. Ça n’a rien de compliqué mais c’est tout de même un plat spectaculaire, que l’on peut servir tel quel, au bouillon, en sauce tomate, en sauce blanche, Mornay ou avgolemono comme en Grèce, et s’il y a quelque chose que je peux mettre au crédit du chou, c’est qu’il n’est pas contrariant. Il est plastique et se prête à toutes les manipulations, c’est même justement pour cette raison qu’on peut le farcir. Une fois retirées les feuilles extérieures fatiguées, je lave le chou en écartant les feuilles. Je le plonge quatre minutes dans une casserole d’eau bouillante salée en le retournant à mi-parcours, je l’égoutte et je lui enfonce la tête dans l’eau froide comme Alain Delon fait à Maurice Ronet dans La Piscine. Ensuite je l’essore bien entre mes mains, ça va le faire, les feuilles sont souples mais ne se déchirent pas. C’est bien, il a au moins du répondant, ce chou.

J’ai fait beaucoup de farce et le chou, je l’ai dit, est petit : il n’est pas sûr que je parvienne à tout y mettre. Comme Marc, je manque de confiance en ce pauvre chou. Je vais vous dire ce qu’il y a dans la farce : de la vraie chair à saucisse de charcutier, une escalope de veau cuite qui me reste d’un tasting culinaire, des pignons de pin (j’aime mettre des pignons de pin dans les farces, mais vous pouvez mettre des noisettes, c’est vivement conseillé), de l’oignon, du pain trempé dans du vin blanc, de l’ail (beaucoup), deux œufs, du sel, du poivre et un peu de céleri-branche et de carotte finement hachés. Un demi-verre de vin blanc pour assouplir, et la farce est travaillée à la main, toujours dans le même sens, pendant trois minutes pour que les ingrédients fassent corps (c’est un truc chinois). Il ne reste plus qu’à farcir le chou, c’est l’instant de vérité.

Le chou se laisse gentiment écarteler, ses feuilles se déploient bien. Il va falloir que je découpe le cœur : surprise, je trouve une fleur. Marc avait bien vu : « Ils cherchent à fleurir. » On ne jette pas une fleur, je la mets de côté. Je trouverai bien à en faire quelque chose.

Je commence par placer une grosse boule de farce dans le cœur évidé du chou. Ça tient à l’aise. Je rabats les petites feuilles centrales sur la farce et j’obtiens une première couche tout à fait acceptable. Sur celle-ci, je dépose une deuxième couche de farce. Je commence à découvrir que je vais en utiliser plus que je ne m’y attendais, peut-être la totalité, car les feuilles sont souples quoique résistantes et le chou, ce petit chou auquel Marc ne croyait plus, se prête de bonne grâce à l’opération.

Autour de la fleur de chou se trouve une belle collerette de feuilles vert clair. Je décide de les utiliser pour faire la troisième couche et j’en enveloppe la farce sans aucune difficulté.

Comme je l’avais pressenti, tout le contenu du bol y passe.


Voilà donc une belle boule de farce qui attend d’être recouverte par les dernières feuilles.

Ce qui est fait en un instant. Comment, il reste un espace vide ? Qu’à cela ne tienne, on va le recouvrir avec la fleur du chou !

Voici venu l’instant le plus délicat, celui du ficelage. Un ficelage de style melon, qui demande ordinairement beaucoup de précautions, mais ce chou de Pontoise tient bon, aucune dégringolade ne menace. Le chou se laisse ficeler bien proprement sans protester. Un nœud bien solide en dessous, et le chou farci est prêt pour la cuisson.

Dans ma vieille cocotte Cousances en fonte noire, je dépose une garniture qui n’est là, en fait, que pour utiliser des ingrédients qui me restent sur les bras : une carotte, deux branches de céleri, quelques gousses d’ail. Un peu de thym et de laurier sur le tout avant de poser le chou.


Comme il s’agit d’un chou farci au bouillon, il cuira à la vapeur d’un bouillon de veau que j’ai préparé la veille (encore le résultat d’un test culinaire). Et là, y a plus rien à voir avant une heure et demie. À petit bouillon, sur feu doux.

J’aime beaucoup les légumes farcis cuits au bouillon ; c’est pourquoi, chez moi, ce plat est pratiquement servi comme une soupe. Cependant, j’aurais pu prélever le bouillon et l’épaissir avec un beurre manié, mais j’avais faim et cette présentation simple a fait le job. On peut blanchir le bouillon avec un peu de crème fraîche. C’est délicat et roboratif, plein de saveur, léger et réconfortant. Et le goût du chou de Pontoise est réellement particulier : légèrement amer, peu soufré, très élégant. Je ne regrette vraiment pas de m’être entêtée à faire cette recette à partir d’un chou que son créateur avait mésestimé. Moralité : il faut savoir faire confiance à ses légumes. Je le dirai à Marc la prochaine fois.

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