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Tout ce qu’on ne vous dit pas sur la marmelade (suite et fin)

Tout ce qu’on ne vous dit pas sur la marmelade (suite et fin) Posted on 28 mars 2020Leave a comment

Dernièrement, nous avions laissé notre future marmelade — écorces, jus, sachet à pectine — reposer au frais.

marmelade

La prochaine étape est celle de la précuisson (ci-dessus, orange amère de Sicile). Transférez le tout — jus, écorces, sachet — dans une grande casserole en matériau non réactif (acier inoxydable ou émail). Ajoutez encore de l’eau de façon à immerger le contenu du sachet. Ne vous inquiétez pas pour la concentration, le liquide va s’évaporer. Portez à ébullition, couvrez et faites cuire environ 1 h 30 sur feu doux, à petit bouillon. Le temps de cuisson dépend des agrumes. Lorsque vous pouvez écraser facilement un morceau d’écorce entre deux doigts, qu’il se désintègre complètement sous la pression, c’est prêt.

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Retirez le sachet et posez-le sur une assiette. Pendant ce temps, regardez un film, écoutez de la musique, faites de la couture ou avancez-vous dans votre travail. Vous pouvez même passer l’aspirateur. Pourquoi cette attente ? Parce que vous allez le prendre à pleines mains, ce sachet, et qu’il doit refroidir, ou tout au moins tiédir complètement.

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Lorsqu’il est au moins tiède, lavez-vous soigneusement les mains, puis squeezez impitoyablement le sachet, molestez-le, pétrissez-le comme de la pâte à modeler, tout en raclant sa surface : vous allez voir sortir de l’étamine une substance jaune pâle opaque. C’est elle qui contient la pectine nécessaire à la gélification. Au fur et à mesure, ajoutez-la au jus. Continuez de squeezer jusqu’à ce que le sachet ait donné tout ce qu’il a dans le ventre, ce qui prend une dizaine de minutes. On dit qu’il faut une cuillerée à café de cette substance pour faire gélifier un litre de jus, mais moi je mets le paquet car j’aime bien que ça gélifie franchement. Je n’aime pas les marmelades molles, même si parfois il m’est arrivé d’en faire lorsque la quantité de pectine était insuffisante (ce qui peut être le cas des pomelos et des agrumes sans pépins).

Une fois que vous avez extrait toute la pectine, procédez à la cuisson et aux précautions qui vont avec. Jetez le sachet — je sais, c’est difficile de jeter un objet que vous avez si soigneusement confectionné et si bien tyrannisé ensuite, mais il faut l’admettre, il a fini de jouer son rôle. Mettez plusieurs petites assiettes ou soucoupes au congélateur. Stérilisez vos bocaux : ils doivent être bien propres, mais laissez-les, sans leurs couvercles, au four à 120 °C pendant 30 minutes. Ajoutez les couvercles pendant les 10 dernières minutes. Ayez à portée de main une petite écumoire, une petite louche et un entonnoir à confitures (ustensile réellement indispensable, qui change la vie).

Mesurez le jus afin de déterminer la quantité de sucre à ajouter : versez le contenu dans un grand bol à travers une passoire fine afin de recueillir les écorces et mesurez le jus : en général, j’obtiens autour d’un litre. Un peu plus. Je mets aussi peu de sucre que possible, mais il en faut tout de même, sinon la gélification ne se fait pas. Pour un demi-litre de jus, je compte environ 400 g de sucre semoule. Lorsque je sais qu’il y a beaucoup de pectine, je réduis la quantité de sucre. Par exemple, hier, avec les bergamotes qui gélifient comme des forcenées, 750 g de sucre pour 1 litre 20 de jus, ça l’a fait. Cela a l’avantage de produire une marmelade acidulée, amère et sucrée juste ce qu’il faut. Si vous manquez un peu de pectine, ce n’est pas très grave : vous aurez une marmelade molle, plutôt dans le style d’une confiture. C’est bon aussi : l’essentiel, c’est le parfum.

Quel sucre utiliser ? Je préfère le sucre de canne, blanc ou blond, mais pas de cassonade trop foncée qui ajoute un goût de caramel dont je me passe bien, et nuit aussi à la couleur. Le sucre blanc a l’avantage de préserver la couleur des fruits ; avec le sucre blond, les marmelades ont tendance à prendre toujours un peu la même couleur ambrée. À quelques exceptions près, je ne suis pas adepte des épices ni des mélanges : j’aime que la marmelade ait vraiment le goût du fruit. C’est le goût originel du fruit qui est précieux, je trouve dommage de l’altérer, surtout quand je me donne le mal de chercher de bons produits. L’aromatisation à outrance me paraît un réflexe de cuisinier qui s’emmerde, un manque de simplicité. Exception, que vous trouverez plus bas : la marmelade citron-gingembre que j’ai faite pour des raisons médicinales. Je ne dis pas non plus que si j’avais un aromate naturel intéressant, par exemple quelques feuilles fraîches de géranium odorant, des pétales de rose ou des fleurs de jasmin, je ne tenterais pas l’expérience. Et je la tenterai un jour avec de l’osmanthus, parce que c’est le parfum le plus somptueux du monde. Mais j’éviterai de la tenter en présence d’un agrume à forte personnalité : je le ferai avec de l’orange douce ou du citron de qualité courante.

Bassine de cuivre ou pas bassine de cuivre ? Le cuivre est traditionnel, il répartit bien la chaleur, mais son usage se fait rare et ne convient pas aux plaques à induction. J’utilise des casseroles ou des cocottes en acier inoxydable (Lagostina) et c’est nickel. Il est très important, pendant ce début de cuisson, de laisser fondre le sucre lentement, sans qu’il ne brûle ou attache au fond. Remuez donc la préparation sur feu doux jusqu’à ce que le sucre soit bien fondu, puis portez à ébullition et faites cuire sur feu doux à moyen, à petits bouillons. Soyez patient ; remuez avec une écumoire toutes les cinq à dix minutes en raclant la paroi du récipient, car la pectine a tendance à s’y concentrer. N’écumez pas à moins d’avoir beaucoup de mousse : pour ma part j’ai trouvé que l’écume gélifiait toujours plus vite que le sirop, donc j’en ai conclu qu’elle contenait beaucoup de pectine. alors je ne la retire pas ; au contraire je la mélange au sirop, et quand la marmelade est prête, elle s’évanouit.

La cuisson (toujours à feu modéré, ce qui préserve le goût) prend entre 1 heure et 1 h 30. Au bout d’un moment, votre sirop fait mine d’épaissir, les bulles à la surface grossissent, deviennent plus visqueuses, le dépôt sur la paroi du récipient commence à se solidifier (remettez-le sans pitié dans le sirop). C’est le signe que le point de gélification se rapproche. Sortez une de vos soucoupes du congélateur et déposez-y une goutte de sirop. Oubliez-la pendant quelques minutes, puis poussez la goutte avec un doigt : si elle se ride, la marmelade est prête. Sinon, attendez encore un peu. En général je fais trois tests de la soucoupe espacés de 10 minutes avant d’atteindre le point optimal.

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Étape réjouissante : la mise en bocaux. Ajustez l’entonnoir sur un bocal et versez presque à ras bord avec votre louche.

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Vous pouvez voir sur cette photo que la gélification commence déjà pour cette marmelade d’oranges amères. Dans le cas des confitures (fraises, cerises, abricots…), on procède à une stérilisation supplémentaire en retournant le bocal fermé tant qu’il est encore très chaud. Mais là, ne faites pas ça. Ce geste ne s’applique ni à la gelée ni à la marmelade, dont la gélification exige que la matière reste tranquille. Donc laissez refroidir votre marmelade sans couvrir ni retourner les bocaux ; et si des mouches ont l’air de s’y intéresser, posez un torchon dessus le temps du refroidissement.

Je n’ai jamais apprécié l’usage de paraffine pour sceller les bocaux. J’ai longtemps utilisé une méthode qu’on m’a apprise en Auvergne : découpez des disques de papier blanc au diamètre exact de l’embouchure du bocal (pour cela, humectez le bord, appliquez-y le papier : le diamètre se trouve dessiné sur le papier et vous n’avez plus qu’à découper), trempez le disque dans un alcool fort (rhum, whisky, vodka…), ajustez-le soigneusement sur la surface de la marmelade, puis fermez le bocal.

Pour les marmelades de cette année, je n’ai même pas utilisé de papier : je badigeonne directement de rhum ou de whisky la surface (bien gélifiée) de mes marmelades, je badigeonne aussi l’intérieur du couvercle, je visse le couvercle, j’étiquette le bocal, et voilà. Je suis certaine que ça ne bougera pas.

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Un dernier mot sur les variantes. Il y a une quinzaine de jours, j’avais sous la main du très beau gingembre frais, dodu et juteux.

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J’ai décidé de faire une marmelade médicinale citron primofiori d’Italie-gingembre chinois. Le procédé est exactement le même, mais évidemment il y a la préparation du gingembre : il faut le peler soigneusement avec une petite cuillère, ce qui préserve les principes aromatiques qui se trouvent juste sous la peau. En outre, seule la petite cuillère se faufile dans les coins, et Dieu sait s’il y a des coins dans le gingembre.

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Votre gingembre tout nu, vos citrons bien lavés, vous êtes prêt.

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Commencez par tailler votre gingembre en fines tranches…

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… puis en bâtonnets, et enfin en tout petits dés.

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L’écorce de citron est aussi taillée en fins bâtonnets, puis en petits dés. Ensuite, passez à la macération puis à la précuisson du citron-gingembre. Bien entendu, on ne met pas de gingembre dans le sachet d’étamine. Pour le reste, vous savez déjà tout.

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Ici, l’ingrédient de base de la dernière marmelade (en date) : de très beaux citrons vétiver de L’Agrumiste. Je n’ai pas réussi à avoir beaucoup d’infos sur cette intéressante variété, peut-être est-elle plus connue sous un autre nom. Regarde-moi cette couleur de dingue, ce jaune verdâtre fluo ! Le parfum est très frais, très végétal, un peu médicinal, un poil déodorant sanitaire si je peux me permettre, mais en marmelade, tout passe. Je ne suis pas sûre que ce parfum rappelle vraiment celui du vétiver, mais je l’aime beaucoup. À moi, en tout cas, il me rappelle l’odeur fraîche des savons jaunes au citron que l’on fixait sur des tiges de métal au-dessus des lavabos dans les cafés d’autrefois. On se lavait les mains en faisant tourner le savon. Le dernier de ces savons que j’ai connu était au Café de Flore, à Paris, il n’y a pas si longtemps, mais je parie que moins de vingt ans ne sauront pas de quoi je parle.

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Comme sa peau est dure et ferme, on peut le zester à l’économe. Ce n’est pas si facile que ça, parce que c’est un citron un peu bosselé, mais on y arrive. Cela permet de tailler le zeste en morceaux très fins, ce qui est toujours joli dans une marmelade.

Mise à jour maintenant que la marmelade de citrons vétiver est en bocaux : la couleur est un beau jaune foncé, rien ne subsiste de la flamme verte du citron frais. Le goût est étonnant, toujours aussi frais, herbacé, décidément amer et acide, sensation renforcée par la faible quantité de sucre. Conservation à surveiller.

Fin du tuto marmelade. J’espère que ça vous a plu, j’espère encore plus que ça vous a inspiré l’envie d’en faire.

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