Ce déjeuner inaugurait le mois du bœuf wagyu japonais, opération de promotion qui se déroule dans plusieurs restaurants partenaires à Paris, à Fontainebleau et à Lyon, du 8 novembre au 24 décembre. Détails et adresses des restaurants à la fin de l’article.
Vers la fin de cet exceptionnel repas, on nous a distribué un questionnaire où figurait la question suivante : Pensez-vous que le wagyu soit le produit qui représente le plus la cuisine japonaise, et pourquoi ? Il est difficile de répondre à cette affirmation sous forme de question. Les grands produits japonais me font l’effet d’une congrégation céleste difficile à hiérarchiser. On aurait pu choisir la bonite séchée, le yuzu, la partie ventrale du thon (toro), l’oursin du Pacifique au corail gras et savoureux, le crabe de Hokkaido, le saké, etc., et de toute façon j’ai toujours du mal à élire des rois, des empereurs et des Miss Univers dans des circonstances où il s’agit plutôt de reconnaître l’excellence dans la diversité. Coup classique pour illustrer cette idée, le foodie américain qui demande, dans les forums de discussion : « Quel est LE meilleur croissant de Paris ? » Aucun Parisien n’est capable de répondre, mais le questionneur, qui ne peut raisonner autrement qu’en termes de compétition, est persuadé que ça existe.
Le bœuf de race japonaise, avec son persillé incomparable, est un de ces aliments célestes. « La saveur de cette viande […] est si particulière qu’elle transporte immédiatement vers un autre monde culinaire. » Je confirme. Ce déjeuner organisé au restaurant Enyaa (37, rue de Montpensier, Paris Ier) le mardi 8 octobre 2022 par l’organisation JFOODO (The Japan Food Product Overseas Promotion Center) l’a démontré avec un soin minutieux et une créativité qui doit tout à la maîtrise et au talent du chef Daisuke Endo. Tout de suite, sous la bannière « Délicatesse au-delà de l’imagination », on a plongé au cœur du produit, présenté par M. Tomotsuyu Iwata de JFOODO. Il faut avoir foi en son produit pour imaginer de tels slogans, foi en l’occurrence parfaitement légitime. Ont été évoqués les quatre races définissant officiellement le pedigree du wagyu japonais (l’appariement de ces termes est un pléonasme, wagyu signifiant « bovin japonais », mais on élève aussi du wagyu ailleurs dans le monde, donc la distinction n’est pas inutile), sa géographie (il est élevé dans toutes les quarante-sept préfectures japonaises, et non, pas seulement à Kobe), sa traçabilité (codes à chiffres, certificats d’origine…), son contrôle de qualité (cinq niveaux de qualité et douze niveaux de persillage, le charolais peut aller se rhabiller), ses critères physiques (son goût, son umami, la fonte de sa graisse à température ambiante), etc.
Un beau faux-filet de wagyu.
Quand une masterclass en bonne et due forme s’accompagne d’un déjeuner d’une telle qualité, on remercie le Ciel. Un mot, en passant, sur les déjeuners de presse, et je suis désolée si ça pique. Il faut bien avouer que, culinairement parlant, ils n’ont jamais eu très bonne réputation, et de fait on ne comprend pas toujours, dans la restauration française élégante qui encadre ce type d’événement, la relation entre le thème et ce qu’on trouve dans les assiettes. Il y a quelques chose de mystérieux dans les repas de presse. J’ai déjà vu un chef triplement étoilé foirer totalement l’un d’eux et venir montrer sa bobine réjouie à table peu avant le dessert. Mais ici, à Enyaa, la fusion entre le thème et l’exécution est magique, évidente, accomplie. Il faut mettre en valeur le wagyu ? Le chef met en valeur le wagyu et va droit au but, sans sifflets ni clochettes. Tout est fait pour exalter la matière première et rien n’est superflu. La maîtrise culinaire est si haute qu’on en est tout chose — ça faisait combien de temps qu’on n’avait pas goûté ça ?
Le pragmatisme culinaire nippon (et asiatique en général) est bien sûr de la partie, mais on aurait tort de minimiser le talent et l’intelligence de ces chefs japonais pour les ramener à des traits culturels, car au vu d’autres exemples récents, cette économie de moyens associée à une telle virtuosité n’a rien d’une évidence : pourquoi, ailleurs, paraît-il si difficile d’illustrer le sujet avec simplicité et sans se fourvoyer dans le détail ? J’ai déjà commenté ici un repas de presse en grande partie raté, mais comme on m’a rapporté les mêmes impressions du restaurant en général, je ne sais pas si l’exemple est valable. Récemment (et non, je ne nommerai pas le restaurant, chéri par les médias et les instagrameurs, je ne suis pas folle et j’aimerais conserver le peu de sympathie qu’on me témoigne encore), ça partait dans tous les sens, un poisson blanc était flingué par un condiment à la livèche qui avait la texture d’un petit pot pour bébé et le goût d’une mauvaise médecine. Ça devrait pourtant être clair : handle with care, la livèche. Il y en avait tant qu’il fallait en laisser. En attaquant deux lichettes d’un « paleron maturé » je ne sais combien de jours, on se rappelait amèrement qu’il ne sert à rien de maturer une viande si elle est de médiocre qualité dès le départ. Et ainsi de suite : pourquoi, en cette période post-covid dont on attendait mieux, nos jeunes chefs médiatiques tout chéris éprouvent-ils le besoin de lancer des feux d’artifice dans toutes les directions dès qu’on leur demande de faire des accords ? Trop de choses sur l’assiette, trop de complexité, noyade de saveurs pas toujours équilibrées ; mais il y a pire : un retour aux mousses, aux écumes et aux glus qui a un petit air rétro malencontreux — vous aurez compris où je veux en venir : à un retour fâcheux aux farces et attrapes du moléculaire. Faut-il en incriminer l’inflation et le prix élevé des produits, obligeant à recourir aux cache-misère en poudre de l’industrie chimico-alimentaire ? Il est vrai — et on ne le répétera jamais assez — que la raison première du moléculaire a toujours été de faire des économies (sous couvert de créativité et de modernité, ça passe comme une lettre à la poste). Dans pas longtemps, on va voir réapparaître les sphérifications ; quant aux repas d’oiseau qui vous restent au moins six heures sur l’estomac, soyez tranquille, ils sont bel et bien de retour.
Ci-dessus : le homard du Divellec (avant la sauce) et le superbe tokaji.
Exception remarquable : lors d’un déjeuner de presse lundi 7 novembre au Divellec en l’honneur des merveilleux tokaji du domaine Disznókö (je vous en parlerai peut-être une autre fois), le sommelier et le chef nous ont gratifiés d’un extraordinaire homard rôti sauce au tokaji szamorodni száraz de 2015, un oxydatif d’une finesse et d’une élégance sans tache (la sauce est ordinairement faite au vin jaune). Le homard, la sauce, c’était tout (le romarin était superflu, je milite pour la création d’un office de contrôle de l’usage du romarin en cuisine), et chaque convive avait un petit pichet rien qu’à lui pour en remettre une louche. Nous nous sommes extasiés : nous ne l’avons pas fait assez fort. Une telle simplicité au service d’un tel goût, ça n’a pas de prix, ça ne reçoit jamais assez d’éloges.
Daisuke Endo, chef d’Enyaa.
Revenons au wagyu et à Enyaa, restaurant japonais haut de gamme spécialisé dans les accords champagne et saké. Autour du wagyu de Toriyama, Daisuke Endo a créé ce menu selon l’essence même du kaiseki : une cuisine simple et aucune concession sur les ingrédients. On ne voit pas pourquoi un menu dégustation, qu’il soit de presse ou non, ne satisferait pas à ces principes. On répondra : il faut un honnête métier de cuisinier, un vrai respect pour le goût, et la vertu d’humilité, indispensable en cuisine mais devenue rare. Et, dans ce cas précis, vingt ans d’expérience du kaiseki à Kyôto ne nuisent pas.
L’amuse-bouche est un bouillon aux champignons contenant un cube de tofu de sésame frit. L’umami du bouillon nous met en appétit et nous conditionne pour la suite. Bien joué.
Sashimi de wagyu, cuit à basse température et mariné aux algues. Les lamelles de viande quasi crues, très fraîches au palais, reposent sur une purée de daikon râpé qui a presque la puissance du wasabi.
Délicieuse entrée de saint-jacques crue — noix et corail — avec céleri-rave, gelée de dashi et râpures de zeste de yuzu. Saveurs concentrées et délicates.
On avait commencé avec un champagne bien sec, non dosé. Un saké assez doux accompagne la suite.
Retour au wagyu avec ce nimono (plat mijoté) qui a fait naître autour de la table des soupirs extasiés. Le wagyu est ici traité en jibuni, c’est-à-dire fariné pour plus de fondant et braisé à basse température. Il est accompagné de daikon braisé et parsemé de zeste de yuzu frais. C’est divin.
Arrive le plat principal. Je reconnais que la grillade au binchotan (charbon de bois dense et sonore) est la voie royale pour un bon wagyu : elle en fait ressortir le goût et le gras mieux que tout autre mode de cuisson. Quelques feuilles de navet marinées et une sauce irizake : une réduction de prune salée umeboshi dans du saké avec un peu de sauce de soja. Cette sauce, dit le chef, « permet de déguster l’umami authentique du wagyu japonais […] Je souhaite vous proposer une cuisine simple, qui fait ressortir les saveurs des ingrédients. » La photo montre assez bien la fusion du gras et peut faire deviner le croquant, le fondant et la saveur profonde et sucrée de la viande.
Pas de photo du dessert (autour de la poire nashi), mais ce sushi de maquereau de style battera, comprimé dans une feuille d’algue, est tout le dessert dont j’ai envie. Il est parfaitement réalisé, avec un riz impeccable. Mon voisin de table, qui déteste le sushi, m’offre sa part. Deux desserts : j’ai bien fait de venir.
Mois du wagyu japonais : les restaurants partenaires
Du mardi 8 au mercredi 30 novembre 2022, Enyaa propose entre autres le faux-filet de wagyu Toriyama grillé au binchôtan, navets marinés aux algues, sauce irizake.
37, rue de Montpensier, Paris Ier. Tél. : 01 40 26 78 25
À Kiyoaji, du 9 novembre au 11 décembre 2022, le chef Kiyoharu Kinugawa servira un bœuf grillé au charbon de bois, sauce au saké rôti.
15, rue Caulaincourt, Paris XVIIIe. Tél. : 09 70 95 98 32
À l’izakaya Le 116, du 14 novembre au 11 décembre, le chef Shigeki Takahashi servira une croquette de wagyu sukiyaki avec œuf mollet (une belle interprétation du wagyu en korokke et en Scotch egg tout à la fois) et un sushi aburi de wagyu.
2, rue Auguste-Vacquerie, Paris XVIe. Tél. : 01 47 20 10 45
L’Archeste (chef Yoshiaki Ito) servira entre le 14 novembre et le 11 décembre 2022 un tartare de wagyu, huître Utah Beach pochée, pickles de radis multicolores et topinambours.
79, rue de la Tour, Paris XVIe. Tél. : 01 40 71 69 68
À Aida, du 8 au 15 novembre et du 10 au 24 décembre, le chef Koji Aida servira un teppanyaki de filet de bœuf wagyu et un sandwich de wagyu.
1, rue Pierre-Leroux, Paris VIIe. Tél. : 01 43 06 14 18
Le wagyu sera également préparé ou vendu dans quelques établissements partenaires de la campagne : Pages (Paris) ; Au 14 février (Lyon) ; L’Axel (Fontainebleau) ; Fuumi (Fontainebleau) ; Nakatani (Paris) ; et La Grande Épicerie de Paris, rue de Passy.
Pour en savoir plus sur le wagyu, son élevage et ses particularités, cliquez pour découvrir une brochure en ligne, le site du wagyu sur Jfoofdo et le compte Instagram du wagyu japonais.
Photo de couverture © Mog Mog Japon.