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Sur mer, d’Alexandre Gauthier : posé sur la Côte d’Opale

Sur mer, d’Alexandre Gauthier : posé sur la Côte d’Opale Posted on 3 septembre 2023Leave a comment

Quand on y a été habitué très tôt (c’est mon cas), rien n’évoque mieux le bonheur du corps que le contact physique de la plage. C’est un mouvement : irrésistiblement, on vient de l’intérieur des terres pour s’y échouer à l’envers, soulagé, ravi. Être entre le sable, le ciel, le vent et l’eau est une sensation unique, et je garde éternellement le souvenir de celle que m’offraient mes parents en me posant, avant même que je sache parler, sur les sables d’Oléron. Les odeurs d’algue chauffée et d’eau de mer, la lumière du soleil étalée sur le sable et les écluses à marée basse, restent gravées en moi. C’est depuis l’aube de mon existence que les plages me rendent zinzin, me font perdre tous mes moyens. Mon ex-belle-mère, femme très sage, me disait : « C’est simple, je ne peux pas voir la mer sans entrer dedans. » Sur ce point et sur quelques autres, nous étions identiques.

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Ce jour-là, nous étions le 1er mai, je crois. Ou le 30 avril 2023. Il faisait très beau, à Merlimont-Plage, quoique le ciel fût un peu voilé, mais il n’était pas question de se baigner. Nous n’en avions pas le temps et nous n’étions pas venues nous livrer à des ébats nautiques. Plutôt gastronomiques. Car le couronnement d’une plage, c’est le restaurant de plage.

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Alexandre Gauthier, chef de La Grenouillère et de Sur mer, son cinquième restaurant.

Le lendemain de mon retour à La Grenouillère, je découvre Sur mer, le nouvel établissement d’Alexandre Gauthier sur la plage de Merlimont. Sur mer au sens littéral, car il est littéralement posé sur la plage. Il paraît que lors des grandes marées, les vagues viennent frapper les vitres. Alexandre, épris depuis toujours de la plage de Merlimont (on le comprend), rêvait d’y ouvrir un restaurant. À la fermeture d’une gargote sur la digue, il a attrapé au vol cette invraisemblable baraque aux allures de paquebot déstructuré et l’a remise en marche.

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L’ensemble rappelle graphiquement les albums de Tintin, la ligne claire, la patte d’Hergé, les aplats de blanc et de ciel qui signalisent l’Art déco marin. Il y a des escaliers, des coursives, un bastingage, et s’installer ici, c’est partir en croisière sur le Karaboudjan ou prendre un ferry, n’importe lequel, pour les îles grecques, l’île de Skye, Staten Island ou Ischia — qu’importe la destination pourvu qu’on ait la traversée. L’endroit est dingue, intégralement repensé et conceptualisé par le chef (avec l’aide du Studio Saint-Lazare). La palette de couleurs : blanc et jaune (il y a même un savon jaune monté sur tige dans les toilettes ; on retrouve cet objet d’autrefois comme un ami d’enfance ou une chanson de Georges Milton).

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Le jaune ajoute de la lumière au blanc et impose son humeur joyeuse — et apéritive, ainsi que me l’avait soufflé autrefois un peintre en décor. Le jaune est stimulant et a tendance à encourager le travail en cuisine ; l’orange, aussi, ouvre l’appétit : c’est pourquoi, depuis les années 70 à la suite de ces recherches en psychologie chromatique, toutes les cafétérias sont orange. Ici, à Sur mer, s’établit une symbiose entre l’extérieur et l’intérieur, l’extérieur entrant dans l’intérieur et l’intérieur se dissociant à peine de l’extérieur, de telle sorte qu’on se sent, soi aussi, posé sur la plage. Il n’y a qu’à s’installer en bord de baie vitrée pour s’inonder de toute la lumière du jour, réverbérée par le sable blanc. Et même si le ciel est couvert, la lumière reste ; c’est ce détail particulier qui fait que cette région du monde s’appelle la Côte d’Opale. Côte d’Opale à laquelle Alexandre Gauthier n’aurait pas pu mieux exprimer son amour.

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Donc, le restaurant de plage est le couronnement de la plage. Il en prolonge le plaisir. Il est, lui aussi, un lieu d’abandon, de liberté, de réconfort, et cela sur toutes les côtes. Qui parmi vous compte quelques restaurants de plage parmi ses meilleurs souvenirs de restaurant ? Moi, j’en ai pas mal. Gros cafés de la côte bretonne ou normande où chaque chef a sa recette de sauce curry pour les moules (et ne veut pas vous la donner parce que c’est la recette de son pépé). Baraques si carrément posées sur la plage qu’il faut faire gaffe à ne pas ensabler les frites. Cabane à huîtres et à fruits de mer où la mayo est faite maison et où l’on vous sert sous le manteau des ormeaux négociés chez le coiffeur (je ne vous dirai pas où c’est). Parc huîtrier au creux d’une ria bretonne, partiellement converti en restaurant, où les araignées ont fait de la muscu et où le muscadet coule dru. La proximité de la mer accroît le plaisir de manger. Et bien entendu, le monument du restaurant marin, c’est la soupe de poissons. Sur mer sert la meilleure soupe de poissons du monde. On comprend mieux pourquoi quand Alexandre nous avoue, tout ému : « C’est la recette de mon père. » Cela rappelle évidemment la filiation Gauthier, à l’origine de La Grenouillère, mais ça me rappelle aussi la recette imprenable de sauce au curry de Papy dans mes cafés bretons.

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La soupe s’annonce par la garniture au fond du grand bol, et ensuite tout va très vite : le pichet verse, et ça mousse, c’est blond, riche et crémeux, ça écume, moussaillon, et c’est tellement bon qu’on en pleurerait presque.

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L’accompagnement de cette soupe, c’est Alexandre tout craché : sa débordante créativité ne lui laisse pas perdre de vue la valeur des classiques, même des classiques prolos comme le gruyère râpé proposé avec la rouille et les croûtons à côté de la soupe de poissons. Pour ceux qui rigolent : du râpé, il y en avait aussi chez Le Divellec ! (Je n’ai pas écrit « Divellec », ceux qui savent savent.) C’est ce que j’aime (entre autres) chez Alexandre, cette absence de snobisme : ce respect pour tout ce qui a fait la cuisine depuis toujours, partout, du café-bar-tabac-terrasse-baby-foot-frites au gastro sidéral en passant par les estaminets qui s’appellent Le Relais des Mouettes ou Au Rendez-Vous des Pêcheurs.

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Vous pouvez consulter le menu sur la page Facebook du restaurant, vous constaterez combien il est adroitement et joyeusement composé. Il y a là tout ce qu’un amateur de poisson et de plage, a fortiori quand il vient d’affronter les rouleaux en corps-à-corps, peut désirer. Les bulots blancs de la Côte d’Opale (on les a déjà évoqués précédemment) viennent en amuse-bouche, aussi hélicoïdaux que savoureux.

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Les huîtres sont ramassées sur toute la côte normande, de Saint-Vaast-La-Hougue à Veules-les-Roses en passant par l’île de Jersey et ses mini-z’huîtres « gamines ». On se régalera de tellines, de palourdes ou de couteaux, selon le cours. On a le choix entre trois plateaux de fruits de mer revisités (pouvant inclure sashimi, ceviche et algues) ; quant au poisson, il vient en direct de la pêche boulonnaise.

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Comme dans mes chers cafés bretons-normands, on dégustera les moules marinières, au lard fumé, au pistou, au curry sri-lankais ou à la crème fermière, à moins que vous ne préfériez des palourdes au calva ? Inutile de dire qu’il y a du fish and chips, avec sauce tartare et frites fraîches, et vous avez le choix entre cabillaud, poulpe, haddock fumé et homard (pince et coude). Vous avez déjà envie d’y aller.

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Le cabillaud, vapeur ou grillé, s’habille de sauce vierge (quoi de meilleur ?), l’aile de raie se décline aux câpres ou pimentée (ci-dessus, oui, elle est pimentée), et le poisson du jour (entier) se sert grillé ou vapeur. Comme il se doit dans tout restaurant de poissons, il y a de l’entrecôte, du tartare et du steak haché pour ceux qui viendraient animés d’un esprit de contradiction.

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La sole, je savais qu’on n’allait pas la rater, mais j’ai été comblée au-delà de mes espérances. Disponible meunière ou grillée, la meunière a eu ma préférence. Mais une meunière qui est presque une grenobloise (à part les câpres), c’est mieux que tout. Regardez-moi ça. Croûtons mignons et croustillants, persil frais bien dosé, et un bon bain de beurre chaud pour ce poisson convenablement doré qui s’y trouve très à l’aise. Une sole d’anthologie, délicate, citronnée et briochée comme il se doit. Et avec ça, des rattes du Touquet, bien entendu.

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Pas de photo de dessert, comme je n’ai plus eu la place d’en commander. Mais quand vous trouvez au menu dame blanche, baba au rhum, melba de saison, île flottante et gros chou à la crème, vous comprenez qu’à ce chapitre-là aussi on a fait tout le nécessaire pour rendre le monde heureux. Ainsi qu’au chapitre liquide : cinq champagnes — Drappier, Ruinart et Dom-pé — et des noms mélodieux sur la carte des vins (Landron, Pinard, Ganevat, Chave, Foillard…).

Sur mer coche toutes les cases du restaurant de plage — le festin, le réconfort, la relaxation, la satisfaction de la faim dans une détente absolue —, mais il va beaucoup plus loin en se révélant un lieu unique, joyeux et euphorisant, où tout a été étudié pour faire plaisir et où chaque détail fait mouche. C’est malin : chaque été, je rêve de plage (sans parvenir à aucune, c’est la vie). Mais pendant tout cet été 2023, j’ai rêvé de plage et, en plus, de Sur mer.

Sur mer
Boulevard de la Manche, 62155 Merlimont-Plage
Tél. : 03 21 94 67 53 https://www.facebook.com/SURMERMERLIMONT/

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